Le 54é anniversaire de l’indépendance surprend un État algérien est désarmé. Nous n’aurons pas su protéger l’indépendance des appétits de pouvoir et des prédateurs. Nous n’aurons pas su lui donner un prolongement sociétal, économique, culturel, conforme à l’époque.
Le verdict est tombé. Au 54è anniversaire d’une indépendance confisquée, nous sommes retombés en indigénat : l’Algérie est en faillite financière ! L’avenir n’est plus entre nos mains. L’avenir, notre avenir va dépendre des grandes places de Manhattan, de Paris et de Bruxelles, là où siègent les grands argentiers de la planète, ceux-là qui vont nous donner à manger en échange du legs de Ben M’hidi : l’indépendance, la dignité, l’honneur d’une nation. Une nation à genoux, qui s’est laissée caporaliser par une bande de truands et que l’on s’apprête à livrer, décharnée, aux grands usuriers qui commandent l’économie mondiale. Oui, nous n’avons plus comme bijou de famille à hypothéquer, que cette indépendance-là dont on ne sait plus si on fêtera, demain, le 54e anniversaire de la naissance ou le premier anniversaire de la mort.
Celui qui vient d’énoncer ce terrible verdict n’est pas un enflammé opposant ni un économiste aigri ni un politicien français revanchard. L ‘homme qui dresse ce bilan sans appel n’est autre que l’un des plus importants ministres de la République, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales à qui il faut rendre cette justice d’avoir rompu avec le discours fabulateur. Devant 14 walis de la région Est, à Constantine, à deux jours de la célébration du 54è anniversaire de indépendance, Nouredine Bedoui, a été sans nuances : «Les réserves pétrolières sont épuisées, il n’y a plus d’argent». Net, court et précis. Tel est le brillant résultat auquel sont parvenus les brillants esprits qui nous ont gouvernés depuis 1962, dont celui qui a dilapidé près de 1000 milliards de dollars en 15 ans, le régime de Bouteflika. M. Bedoui valide, ainsi, les propos des quelques experts algérien qui ont bien voulu dire la vérité au peuple, mais aussi les déclarations de l’ex-président français Nicolas Sarkozy dont on se souvient de la perfide interrogation : ” Que faire de l’Algérie ?” On ne sait pas. Personne ne sait, sauf quelques décideurs américains et européens, ceux-là même qui en 1999, en 2004, en 2009 (n’est-ce pas, M. Sarkozy ?) et en 2014, pensaient pour nous, nous exhortant à faire confiance à Bouteflika, même à un Bouteflika sur fauteuil roulant, puisque, c’est connu, un peuple d’indigènes n’a pas besoin d’être gouvernés, juste commandé, tenu en laisse, encadré comme du bétail.
Le drame réside moins dans l’état catastrophique de l‘économie nationale que dans l’impuissance d’un pouvoir irresponsable, disqualifié, bâti sur la prébende et le régionalisme, à engager une solution de recours.
Quand M. Bedoui demande aux walis de s’engager dans la construction d’une «économie locale forte», il reproduit la même technique perverse dont use tous les gouvernements piégés par le temps : passer la patate chaude à quelques fusibles qu’on limogera, au besoin, avec grand bruit, pour dissimuler la coupable défaillance d’un pouvoir central irresponsable pour qui l’art de gouverner se réduit à clamer les fausses bonnes nouvelles et à taire les vraies mauvaises nouvelles.
Il nous rappelle l’irremplaçable Benyounès qui nous disait, souvenons-nous : «Le Président nous a dit lors d’un Conseil ministériel que la seule vraie solution est la relance de l’économie nationale. Cette conviction d’aller vers une plus grande diversification de l’économie nationale est partagée maintenant par tout le monde.» Ah bon ? Ainsi donc, des ministres algériens ont mis quinze années pour découvrir que «la seule vraie solution est la relance de l’économie nationale» et non l’élevage des escargots ou les concours de meilleurs danseurs de boogie-woogie ! Quinze ans ! Le temps que la Corée du Sud avait mis pour devenir le plus grand des dragons asiatiques.
M. Bedoui ne nous dit pas comment relancer l’économie quand on a gaspillé l’argent dans les importations, dans la rapine et les dépenses de prestige, quand on passe l’essentiel de son temps à faire la guerre aux . investisseurs nationaux. Que peuvent des walis dont tout le monde sait qu’ils ne dirigent rien dans des territoires conquis par des mafias locales ?
L’élection présidentielle de 2014, aura achevé de consacrer la victoire du clan Bouteflika à la tête d’un État faible, déstructuré et au service de lobbies installés sur les débris de l’État algérien démantelé depuis 14 ans.
Le 54é anniversaire de l’indépendance surprend un État algérien est désarmé. Nous n’aurons pas su protéger l’indépendance des appétits de pouvoir et des prédateurs. Nous n’aurons pas su lui donner un prolongement sociétal, économique, culturel, conforme à l’époque. C’était et c’est toujours notre devoir, mais aussi celui de l’armée, celle-là qui cultive l’illusion historique de se croire dépolitisée par miracle, qui se proclame «institution nationale républicaine pleinement dévouée à assumer son rôle constitutionnel sous la conduite de Monsieur le président de la république…» Mais pour qu’il y ait «institution républicaine», mon général, il faut qu’il y ait d’abord une république, c’est à dire un régime politique où les fonctions de Chef d’État ne sont pas héréditaires, mais procèdent de l’élection, ce qui suppose que la souveraineté appartient au peuple ! Or, depuis l’indépendance, l’Algérie n’est qu’une pitoyable parodie de République moderne, dominée par l’incurie, la gabegie, l’incompétence et le désordre destructeur. Cette armée qui prétend à la similitude avec l’armée turque, tourne le dos à sa propre mission historique. Mustafa Kemal était un général et, comme en Algérie, ce sont les militaires qui triomphèrent à l’issue de la guerre d’indépendance. Mais en Turquie, ils fondèrent le nouvel Etat-Nation et l’armée est depuis la fin de l’Empire ottoman, un facteur de modernisation et cette vocation modernisatrice n’a pu se confirmer qu’après la fondation du nouvel Etat, de la République par Mustafa Kemal. Chez nous, au 54è anniversaire de l’indépendance, nous attendons toujours Godot.