Revenir en Algérie, y aller, en être ou pas, autant de question qui se posent quand on va d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée.
Je m’appelle Samir Ardjoum. Quand je m’installe en Algérie, je traine 35 printemps. Je suis parti car pas de taf en France. Difficile d’écrire sur le cinéma et d’être payé. Surtout au bout de treize ans.
Alors on va voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Et niveau taf, l’herbe est bonne. Là-bas, je voudrais être critique de cinéma. Là-bas, au vu de la situation labyrinthique que traverse l’industrie cinoche, je serais journaliste culturel. C’est mieux. Ça passe mieux. C’est un visa correct. Que dire de ce pays nommé Algérie ? Tout et rien. Tout et son contraire. Chimère pour certains, fantasme pour les autres, et « origine » plus ou moins assumée pour moi. Y aller, c’est prendre un avion en décembre 2011. Y aller, c’est atterrir dans une ville-satellite, Draria pour les intimes, située à l’embouchure d’Alger. La bretelle de la capitale en somme. Y aller, c’est aussi, un an plus tard, déménager en direction de Bab-El-Oued, géographie cinématographique, exotique, nom propre qui fait rêver seulement ceux et celles qui vivent « enveloppés dans les journaux de l’époque ».
Y aller, c’est se retrouver face à soi, acceptant difficilement le revers de la médaille, le miroir de sa médiocrité et surtout le Temps qui s’écoule, timidement, posément et lentement. C’est revoir autrement les films, lire différemment les mots des autres et respirer d’un coup sec la moiteur des rues chaudes. Y aller, c’est paradoxalement ne jamais partir. Y aller, c’est aussi retrouver Paris, les potes, la famille, et leur parler avec des mots moins cadenassés.
Fallait donc y aller. Fallait aussi revenir. Définition, sans doute, de ces chroniques algériennes… Très vite, on constate que d’autres l’ont fait ou le font. Très vite, ces chroniques deviendront multiples, portées par des voix différentes et des visages aux traits indéfinis. Les expériences seront différentes mais jamais antinomiques, elles seront conjuguées au présent et parfois au passé mais avec un pied vers l’avenir, elles seront femmes, hommes et parfois les deux. Elles existeront. Elles formeront un « je » et l’assumeront jusqu’aux trois points de suspension de rigueur.
Quitte à défier le surréalisme, et ne plus se complaire dans la logique. Tout comme le sous-titre de ces chroniques algériennes, ce «avancez l’arrière». Expression typiquement algéroise qu’on retrouve souvent en prenant les bus de la capitale, où l’on entend le chauffeur demander avec insistance et sans ménagement au gens qui se sont engouffrés au milieu du bus, les «debouts», d’avancer vers l’arrière du bus afin qu’il y ait plus de places pour les nouveaux arrivants. Pour aller vite, pour ne pas perdre son temps, pour aller droit à l’essentiel, «avancez l’arrière» est né. Plus tard, le groupe Djmawi Africa en fera un album et une chanson atypique.
Donc imaginez que vous soyez dans ce bus. Dans cette (dé)marche personnelle. Imaginez ce que vous voulez, mais laissez-vous emporter par nos mots et notre vision sur un pays décidément «pas comme les autres» et composé de paroliers excentriques. Tel ce chauffeur de taxi rencontré à l’aéroport d’Alger.Je revenais d’un festival de cinéma, quelque part en France. Je reviens chez moi, à Bab-El-Oued. Je prends un taxi et sur la route, le chauffeur me parle :
– Bab-el-Oued ?
– Oui
– Où ? Les Trois horloges (quartier du centre de bab-el-oued)
– Non, plutôt Malakoff (autre quartier)
– Ok. Toi t’es français ?
– Oui
– Mais tu ressembles à un algérien
– Oui
– Ah, t’es un immigré
– En quelque sorte
– Tu parles arabe ?
– Non
– Kabyle ?
– Non
– Espagnol ? Como te llama ?
– Non et me llamo Samir
– C’est pas normal. T’es algérien et tu ne parles pas arabe. C’est ton pays tout de même.
– C’est aussi compliqué
– Et tu fais quoi dans la vie ?
– Journaliste
– Politique ?
– Non
– Sport ?
– Non
– Quoi alors ?
– Culture. Je suis critique de cinéma.
– Quoi ?
– Critique de cinéma
– Mais y a pas de cinéma dans ce pays
– Euh…
– Bah oui. Regarde Gravity. Tout le monde le voit, sauf nous. Toi tu l’as vu ?
– Non
– Bon bah alors à quoi ça sert ton métier ici ?
– Bah il existe d’autres manières de questionner l’image
– Oui…mais tu vois toutes les semaines des films algériens ?
– Euh…non
– Bon, bah alors ton métier ne sert à rien
– Euh…
– Et tes patrons te paient pour ça ?
– Bah oui
– Allez, je t’amène à bab-el oued, malakoff et la course est pour moi
La conclusion est qu’il y a du sens dans les propos de ce chauffeur de taxi et du nonsense dans les miens…
Bahdja.com 2015 – source:chroniques-algeriennes