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Assia Djebar, un esprit libre contre la régression et la misogynie

Décédée le 6 février dans un hôpital parisien des suites d’une longue maladie, l’écrivaine et historienne Assia Djebar, membre de l’Académie française, a été inhumée à Cherchell, en Algérie, dans le cimetière familial.

BIOGRAPHIE

Assia Djebar, née Fatma-Zohra Imalhayène à Cherchell le 30 juin 1936, est l’auteure de romans, poésies et essais traduits dans 23 langues. Elle a également écrit pour le théâtre et a réalisé plusieurs films. Fatma-Zohra Imalhayène est la première Algérienne et la première femme musulmane à intégrer l’Ecole normale supérieure de jeunes filles de Sèvres en 1955, où elle étudie l’histoire. En 1956, elle suit le mot d’ordre de grève de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), et ne passe pas ses examens. C’est à cette occasion qu’elle écrira son premier roman, La Soif. Elle adopte, depuis, le nom de plume d’Assia Djebar. Elle a été élue à l’Académie française le 16 juin 2005.


La romancière algérienne Assia Djebar, «auteur d’écriture française», comme elle aimait à se définir, est morte vendredi à Paris. Elle avait 78 ans. Née à Cherchell, fille d’instituteur, elle aura été la première étudiante algérienne (on disait à l’époque «française musulmane») à intégrer l’Ecole normale supérieure, à Sèvres, après un an de khâgne au lycée Fénelon, à Paris. C’était en 1955. Cinquante ans plus tard, élue à l’Académie française, elle était, là encore, une pionnière : la Coupole accueillait pour la première fois un auteur algérien.

Onze romans, des pièces, des nouvelles : Assia Djebar (son nom de plume) fait ses débuts d’écrivain en 1957 avec la Soif. Elle est virée de Sèvres pour avoir suivi le mot d’ordre de grève de l’Ugema, l’Union générale des étudiants musulmans algériens.

«Assia, c’est la consolation, et Djebar, l’intransigeance. Quel beau choix !» dit Pierre-Jean Rémy dans son discours de réception à l’Académie, où il retrace l’engagement et les refus d’Assia Djebar. Il évoque aussi une œuvre à la fois autocentrée et vouée à la condition des femmes : «Vous lisant, on ne sait pas toujours si c’est de Fatma-Zorah Imalhayène, votre vrai nom, devenue Assia Djebar, écrivain de langue française, que vous nous parlez, ou de toutes les autres.»

A la fin des années 50 et début 60, Assia Djebar publie chez Julliard les Impatients et deux autres romans. En 1959, elle enseigne l’histoire à l’université de Rabat puis, en 1962, à celle d’Alger. Mais les autorités algériennes exigeant un enseignement en arabe, Assia Djebar refuse. La décennie suivante est consacrée au cinéma (des documentaires).

La romancière revient à la littérature dans les années 80, lorsqu’elle s’établit définitivement dans la région parisienne, en alternance avec des séjours en Louisiane et à New York, où elle poursuit sa carrière universitaire. En 1999, Assia Djebar a soutenu sa thèse (à Montpellier) sur… sa propre œuvre : «Le Roman maghrébin francophone, entre les langues et les cultures : 40 ans d’un parcours : Assia Djebar 1957-1997.»

En 1996, chez Albin Michel, son principal éditeur, Assia Djebar publie un récit, le Blanc de l’Algérie, où elle rend hommage aux intellectuels assassinés. Puis c’est un essai, Ces voix qui m’assiègent (1999), et enfin ses plus beaux textes autobiographiques, la Femme sans sépulture (2002), la Disparition de la langue française (2003), Nulle part dans la maison de mon père (2007).

En 2005, prononçant l’éloge de son prédécesseur, le doyen Georges Vedel, Assia Djebar évoqua les rencontres qui jalonnèrent son parcours : «En pleine guerre d’Algérie, pour ma part, j’ai bénéficié de chaleureux dialogues avec de grands maîtres des années 50 : Louis Massignon, islamologue de rare qualité, pour mes recherches alors en mystique féminine, du Moyen Age, l’historien Charles-André Julien qui fut mon doyen à l’université de Rabat autour de 1960, enfin le sociologue et arabisant, Jacques Berque qui me réconfortait, hélas, juste avant sa mort, en pleine violence islamiste de la décennie passée contre les intellectuels. J’ajouterai à cette liste le discret ami d’autrefois, Gaston Bounoure, qui, d’Egypte, venant finir sa carrière de professeur au Maroc, était l’un des rares à m’encourager dans mes débuts de romancière ; de même, un peu plus tard, le poète Pierre Emmanuel qui siégea parmi vous.»

C’est évidemment sur la langue française que la nouvelle académicienne était intarissable : «Ainsi, dirais-je, s’aviva mon “désir ardent de langue”, une langue en mouvement, une langue rythmée par moi pour me dire ou pour dire que je ne savais pas me dire, sinon hélas dans parfois la blessure… sinon dans l’entrebâillement entre deux, non, entre trois langues et dans ce triangle irrégulier, sur des niveaux d’intensité ou de précision différents, trouver mon centre d’équilibre ou de tangage pour poser mon écriture, la stabiliser ou risquer au contraire son envol. […] La langue française, devenue la mienne, tout au moins en écriture, le français donc est lieu de creusement de mon travail, espace de ma méditation ou de ma rêverie, cible de mon utopie peut-être, je dirai même ; tempo de ma respiration, au jour le jour.»

Assia Djebar a reçu, en 1999, le grand prix de francophonie. Quatre ans plus tard, s’exprimant dans un colloque qui lui était consacré, François Bon apporta cette précision : «Non, il ne s’agit ni de francophonie ni de géographie, mais du centre commun et mouvant, en partage, de la langue aujourd’hui.»

La froideur qu’elle a pu ressentir de son pays

Un choix loin d’être fortuit quand on sait que Diderot fut le seul du siècle des Lumières à s’opposer radicalement à la colonisation. Une manière aussi de dire que, toute honorée qu’elle se trouvait d’être élue à l’Académie française, elle ne se sentait pas obligée d’y enfermer son esprit, alors que l’usage de l’institution aurait voulu plutôt qu’elle se réfère à son illustre prédécesseur, Voltaire. Pour ceux qui en doutaient encore, Assia Djebar n’a jamais renoncé à son “algérianité”. Elle l’a portée autant dans ses romans que dans sa vie et sa beauté.

Assia Djebar. Profonde indignation sur l’absence de représentant de l’État aux obsèques de l’Académicienne (PCF) 

Le Parti communiste s’étonne et tient à exprimer sa profonde indignation que ni la Présidence de la République française, ni le Ministère de la culture n’aient jugé important d’être représentés ce matin à l’enterrement de l’Académicienne Assia Djebar, écrivaine et historienne, grande voix de la littérature francophone et du Maghreb, intellectuelle de renommée internationale. Pourquoi ce choix de l’État ? Nous nous interrogeons. 

 

Par Bahdja.com – 11 Fevrier 2015

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