samedi, juillet 27, 2024
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«Les zones industrielles installées en périphérie des villes sont une insulte à l’agriculture vivrière»

 «Les zones industrielles installées en périphérie des villes sont une insulte à l’agriculture vivrière». Spécialiste en économie agricole et espace rural, le professeur Benyoucef Badredine, qui a enseigné pendant des années l’économie rurale à l’université de Batna et a été membre fondateur de l’Institut d’agronomie de la même université, revient dans cet entretien sur les péripéties ayant accompagné les différentes politiques foncières menées dans le pays durant ces 50 années d’indépendance.

1/ Le foncier dans son ensemble constitue un des axes centraux de la politique de développement économique en Algérie. En votre qualité de spécialiste en économie rurale, quelle appréciation faites-vous des différentes réformes opérées en matière de gestion du foncier depuis l’indépendance dont l’Algérie célèbre le cinquantenaire ?

Il faut tout d’abord faire un distinguo d’entrée entre la situation des terres algériennes au lendemain de notre indépendance et les réformes structurelles qui sont intervenues de manière ponctuelle par la suite. En 1962, les responsables du pays étaient préoccupés à remettre de l’ordre dans la création du nouvel Etat. Ils ont été pris de court concernant le foncier. Ils ont tout simplement laissé les terres à ceux qui se trouvaient à proximité, en l’occurrence les ouvriers agricoles qui travaillaient chez le colon.

Pas plus simple que cela. C’est ainsi que plus de 2 millions d’hectares de terres arables et environ 200 000 ha de forêt se sont retrouvés, du jour au lendemain, biens vacants et à la disposition des ouvriers qui occupaient l’espace rural.

La nature a horreur du vide et le transfert de propriété massif a commencé à se matérialiser par une intervention de l’Etat qui a promulgué l’Ordonnance 62-20 du 24 août 1962, relative à la protection et la gestion des biens vacants et le décret de mars 1963. Ces textes sont venus régulariser une situation de fait. Les hautes autorités du pays ont tout simplement tenté de copier, dans un premier temps, le système yougoslave et ont institutionnalisé ce qu’on a appelé l’autogestion. C’est ainsi qu’en 1965, le secteur agricole autogéré s’étendait sur 2,3 millions ha, occupés par les colons durant la colonisation. L’Ordonnance 66-182 du 06 mai 1966 a dévolu à l’Etat la propriété des biens déclarés initialement vacants. Il en devient donc le seul propriétaire.

 Ce n’est qu’après que l’ancien président Houari Boumediene a tenté de remédier à la gabegie qui s’est installée. Dans un esprit de justice sociale, il n’a pas trouvé mieux que de proclamer une déclaration qui a fait focus par la suite. Il a pensé à juste titre que «la terre appartient à celui qui la travaille». C’est dans cette optique qu’il y a eu mise en place d’un système socialisant. L’Ordonnance 71-73 du 8 novembre 1971, a institué la révolution agraire dont le principe fut justement «La terre à celui qui la travaille». Ce qui a permis de récupérer 1,2 million ha qui étaient auparavant la propriété de grands pachas qui, le plus souvent, vivaient en ville et déléguaient la production à de pauvres hères qui étaient rétribués au 5ème. D’où l’expression algérienne de Khamassas. Plus de 100 000 Khamass ont été libérés du joug d’une exploitation sans nom. Ils ne pouvaient aspirer

qu’au 5eme de la production et n’avaient ni protection sociale ni les acquis sociaux les plus fondamentaux (retraite, congés payés et autres).

 2/Comment la société a-t-elle vécu la révolution agraire à l’époque ?

 Je trouve important aussi de rappeler qu’après sa disparition, Houari Boumediène a souvent fait l’objet de critiques à propos de la révolution agraire, laissant entendre qu’il a

privé d’honorables citoyens de leurs terres, qu’il avait fait esprit d’une brutalité sans nom dans la récupération des terres et autres inepties. Pour ceux qui s’en souviennent,
les journaux télévisés de 1971 et 1972 s’ouvraient sur la lecture des noms d’honorables citoyens qui avaient fait don de leurs terres à la révolution agraire, mais ce sont ces derniers qui, par la suite, critiquaient l’ancien Président et ont exigé la restitution de leurs terres. « Reprendre un don c’est voler. »

3/ Les historiens ont toujours mis en avant que la terre a constitué un des enjeux essentiels de la colonisation. Comment ?

Pour enchaîner avec ce qui vient d’être dit, il est utile d’ajouter qu’au lendemain du débarquement de Sidi Ferruch et après le vol de Dar El Mal d’Alger (la régence d’Alger,
(ndlr), le colonisateur a eu comme souci l’occupation des terres algériennes. Et pas n’importe quelles terres, mais les meilleures, les mieux exposées et les plus arables. L’occupant a fait appel à des immigrés d’Espagne, d’Italie, de France, pour leur donner ces terres. La révolte a alors commencé à poindre du nez dans les campagnes algériennes et il a fallu attendre 1863 pour que Napoléon III, pour éteindre le feu naissant, déclara :

 «Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection»et le sénatus-consulte du 22 avril 1863 qui reconnut «les tribus d’Algérie propriétaires des terres dont elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle»

Mais, la politique de colonisation des terres et de dépossession des Algériens a continué de plus belle.

4/ Avec une SAU qui ne représente que 3,5% de la superficie totale du pays, le foncier agricole en Algérie est confronté à des vulnérabilités multiples, climatiques en particulier. Quel bilan peut-on tirer des programmes de mise en valeur et de préservation des terres contre toutes formes de dégradation ?

Parlons peu et parlons juste. Ce chiffre de 3,5% de la superficie totale a été inventé par un rond-de-cuir, qui sans doute n’a jamais mis les pieds dans un champ. L’agriculture est un secteur de l’économie qui participe, selon son avancée d’un niveau technique, au développement d’un pays. C’est donc en fonction du niveau de sollicitation de ce secteur nourricier que l’on peut dire qu’une terre est arable, c’est-à-dire utile à l’agriculture. D’où l’expression barbare pour un non initié de la SAU (Superficie agricole utile).

On peut dire que du temps où la planète terre n’était pas assez peuplée, l’homme vivait d’une agriculture de cueillette. Par la suite, lorsque les besoins de l’homme ont évolué, il a eu de nouveaux besoins qu’il a fallu couvrir par une agriculture de subsistance plus élaborée. Ensuite, lorsqu’il a fallu développer le secteur industriel et que l’homme avait besoin d’échanges divers hors agriculture, il se devait d’exiger de cette dernière une production plus conséquente qui devait couvrir, non seulement ses besoins de nourriture mais le surplus devait servir de monnaie d’échange pour obtenir des produis manufacturés. Et on peut continuer la démonstration jusqu’à arriver à un niveau d’intensification de l’agriculture tel que cette dernière est devenue, pour certains pays, une arme réelle dans les échanges économiques mondiaux. Par là, je veux expliquer que l’Algérie est de par sa superficie, le plus grand pays du continent africain, du monde arabe et du pourtour méditerranéen. Il est important de souligner ce point afin de mieux cerner l’enjeu. Les 3,5% de SAU se situent dans la bande du Tell, large de 80 km à 190 km, et s’étend sur près de 1200 km de côte méditerranéenne. C’est dans cette bande qu’on retrouve nos 7 millions d’hectares dévolus aux céréales par exemple.

Mais les gestionnaires de l’agriculture ont juste oublié que notre pays s’étend sur plus de 2,38 millions km² et on peut dire, sans tomber dans l’excès, que toute cette superficie peut être utile à l’agriculture, pour peu que l’on s’en donne les moyens. C’est bien connu que la fonction crée l’organe. Dans quelques décennies, l’Algérie, sous l’impulsion d’une démographie galopante ne pourra que se tourner vers le sud pour y promulguer une politique digne de ce nom et donner réellement les moyens idoines, sans tracasseries administratives, à ceux qui veulent vraiment travailler la terre. Hélas, actuellement, le pétrole est notre compagnon de tous les jours et tant que coulera cette source épuisable à terme, les gestionnaires pourront dormir sur leurs lauriers.

 

5/ Durant ces 50 années d’indépendance, d’importantes superficies agricoles ont été détournées de leur vocation initiale. Comment peut-on mesurer ce phénomène ?

Je reviens à un constat que j’ai déjà fait. Il suffit de survoler le territoire algérien pour se rendre compte que la plupart des terres algériennes ne sont pas exploitées comme elles devraient l’être. C’est frappant. Puis, pour mesurer ce phénomène, il suffit de voir toutes ces zones industrielles installées en périphérie des villes sont d’autan d’insultes à l’agriculture vivrière. Toutes ces superficies fertiles accaparées sont des verrues qui agressent le regard et illustrent la gabegie des politiques menées. C’est juste par confort et paresse que nos dirigeants ont permis cela.

Le complexe pétrochimique de Skikda en est un exemple édifiant. Dans cette zone, il y avait une belle plage de plus de 10 km et adossée à des terres agricoles des plus fertiles.

Les dirigeants, au lieu d’installer le complexe à la lisière de ces 10 km, ont préféré installer le complexe sur cette défunte plage à proximité de la ville de Skikda. Et si un accident majeur se déclarerait, c’est toute la population de Skikda qui est menacée.

6/ Y a-t-il un espoir pour récupérer à l’avenir les terres ayant déjà été détournées d’une façon illégale, notamment durant les années 1990 à la faveur de la crise sécuritaire et politique qu’a vécue le pays ?

Là, c’est la boîte de Pandore. Il y a des individus qui ont bénéficié de terres agricoles pour les revendre par la suite illégalement. Un agriculteur d’Oran a même morcelé des terres agricoles dont il a bénéficié en 544 lots de construction et les a bradés à de simples citoyens qui ont profité de l’aubaine pour enfin construire un logement. L’affaire est toujours en cours. Cet exemple à lui seul reflète parfaitement ce type de dérapages. Il a détourné je ne sais combien d’hectares de leur vocation agricole. Où se situe la responsabilité ? C’est là tout le problème. Pour récupérer les terres détournées, il peut paraître possible de le faire sans dommage pour toutes les parties. Il suffit juste de le vouloir. Savez-vous par exemple que les terres qui bordent les pistes d’avions dans les aéroports européens sont attribuées à des agriculteurs qui obtiennent d’excellents rendements en céréales ? Prenons un exemple, l’aéroport Houari Boumediene. Je suis sûr que l’on peut exploiter les terres contigües aux 2 pistes. J’ai estimé, pour transiter souvent par cet aéroport, entre 600 et 1000 hectares de terre arable. A raison de 80 quintaux à l’hectare, voilà 80 000 quintaux qui nous passent sous le nez chaque année. La solution est celle de créer, non pas un autre office qui viendra en doublure à un autre, mais carrément une police du foncier qui relèvera du ministère de l’Agriculture, du ministère de la Défense, en concertation avec les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Et ce, au niveau de chaque wilaya du pays. Un répertoire de toutes les terres devra se faire sans délai. Et ce, pour répertorier les terres qui ne sont pas exploitées d’une part et celles des barons des EAI et EAC qui les louent et passent le reste de l’année à vivot de leur rente ainsi acquise.

Benyoucef Badreddine, Novembre 2012

 

 

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